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.Il était quelque peu couvert de sang quand je l’ai trouvé, mais je l’ai nettoyé.Euh, en tout cas, je l’ai essuyé et, curieusement, il s’avère tout à fait mangeable.Je suppose qu’il y en a juste assez pour toi.» En fait, il y en avait assez pour une douzaine de convives.« Voici Taliesin, me présenta-t-il sèchement son compagnon.Un sorte de barde venu du Powys.»Je me tournai vers le célèbre barde, un jeune homme au visage empreint d’une vive intelligence.Il s’était rasé le devant du crâne, comme un druide, portait une courte barbe noire, avait une longue mâchoire, des joues creuses et un nez en lame de couteau.Une fine bandelette en argent enserrait son front.Il sourit et me salua.« Votre renommée vous précède, Seigneur Derfel.— Tout comme la tienne.— Oh, non ! gémit Merlin.Si vous devez vous lécher mutuellement les bottes, allez faire ça ailleurs.Derfel se bat parce que c’est un éternel adolescent et toi, tu es célèbre parce qu’il se trouve que tu as une voix passable.— Je ne me contente pas de chanter, je compose des ballades, dit modestement Taliesin.— Tout homme peut faire une chanson s’il est suffisamment ivre, répliqua Merlin d’un air dédaigneux, et il me jeta un coup d’œil en coin.C’est du sang qu’il y a dans tes cheveux ?— Oui, Seigneur.— Tu devrais te réjouir de ne pas avoir été blessé à un endroit crucial.» Cela le fit rire, puis il me désigna les Blackshields.« Qu’est-ce que tu penses de mes gardes ?— Ils dansent bien.— Ils ont de bonnes raisons pour ça.Quel jour satisfaisant.Et Gauvain n’a-t-il pas bien tenu son rôle ? C’est tellement gratifiant quand un simple d’esprit sert à quelque chose, et pour être idiot, Gauvain l’était ! Un garçon assommant ! Toujours en train d’essayer d’améliorer le monde.Pourquoi les jeunes se croient-ils forcément plus intelligents que leurs aînés ? Toi, Taliesin, tu n’es pas sujet à cette agaçante méprise.Il a fini par acquérir un peu de ma sagesse, m’expliqua Merlin.— J’ai beaucoup à apprendre, murmura Taliesin.— Très vrai, très vrai.» Merlin poussa vers moi un cruchon de bière.« Ta petite bataille t’a bien amusé, Derfel ?— Non.» En fait, je me sentais étrangement démoralisé.« Cuneglas est mort.— Je l’ai entendu dire.Quel idiot ! Il aurait dû laisser les actions d’éclat à des imbéciles comme toi.Mais c’est tout de même dommage qu’il soit mort.Ce n’était pas un homme très intelligent, pas ce que moi j’entends par intelligent, mais il n’était pas idiot, chose rare en ces tristes temps.Et il a toujours été gentil avec moi.— Il était la gentillesse même, intervint Taliesin.— Alors maintenant, il va te falloir trouver un nouveau protecteur, dit Merlin au barde, et ne regarde pas Derfel.Il ne peut pas faire la différence entre un joli chant et un pet de bœuf.Ce qu’il faut pour réussir dans la vie, c’est naître de parents riches.» Il faisait maintenant un cours au jeune homme.« J’ai vécu très confortablement de mes rentes, bien qu’à y réfléchir je ne les aie pas collectées depuis des années.Tu me paies une rente, Derfel ?— Je le ferais, Seigneur, si je savais où l’envoyer.— Ça n’a plus d’importance maintenant.Je suis vieux et faible.Je mourrai sans doute bientôt.— Ne dites pas de bêtises, vous êtes dans une forme splendide.» Il avait l’air âgé, bien sûr, mais une étincelle de malice brillait dans ses yeux et l’entrain animait son vieux visage ridé, sa barbe et ses cheveux bien nattés étaient rattachés avec des rubans noirs, sa robe semblait propre, sauf quelques taches de sang séché.Il avait l’air heureux, pas seulement, je pense, parce que nous avions remporté la victoire, mais parce que la compagnie de Taliesin lui plaisait.« La victoire donne la vie, déclara-t-il d’un ton dédaigneux, mais nous l’oublierons bientôt.Où est Arthur ?— Nul ne le sait.J’ai entendu dire qu’il s’était longuement entretenu avec Tewdric, mais il n’est plus avec lui.Je suppose qu’il a retrouvé Guenièvre.»Merlin ricana.« Un chien retourne toujours à son vomi.— Cette femme commence à me plaire, répliquai-je pour les défendre.— Je m’y attendais, dit-il d’un air méprisant, et j’imagine qu’elle ne causera plus de mal.Ce serait une bonne protectrice, dit-il à Taliesin, elle a pour les poètes un respect absurde.Mais ne va pas grimper dans son lit.— Pas de danger, Seigneur.»Merlin rit.« Notre jeune barde est célibataire.Ce type est châtré.Il a renoncé au plus grand plaisir des hommes afin de préserver son talent.»Taliesin vit ma curiosité et sourit.« Pas ma voix, Seigneur, mais le don de prophétie.— Et c’est un authentique talent, dit Merlin avec une sincère admiration, bien que je doute que cela vaille le célibat.Si l’on avait exigé ce prix de moi, j’aurais abandonné le bâton de druide ! J’aurais préféré un emploi plus humble, comme barde ou lancier.— Tu vois le futur ? demandai-je à Taliesin.— Il a prévu la victoire d’aujourd’hui et savait depuis un mois que Cuneglas mourrait, mais il ne m’a pas prévenu qu’un gros bon à rien de Saxon viendrait me voler mon fromage.» Il me reprit le morceau que je tenais.« Je suppose, Derfel, que tu souhaites qu’il te prédise ton avenir.— Non, Seigneur.— Tu as bien raison, il vaut toujours mieux l’ignorer.Tout finit dans les larmes, un point c’est tout.— Mais la joie renaît toujours, dit doucement Taliesin.— Oh, dieux, non ! cria Merlin.La joie renaît ! L’aube se lève ! L’arbre bourgeonne ! Les nuages se dissipent ! La glace fond ! Tu pourrais ne pas t’abaisser à ce genre de fatras sentimental.» Il se tut.Ses gardes avaient terminé leur danse et étaient partis s’amuser avec les captives saxonnes.Ces femmes avaient des enfants et leurs cris étaient assez bruyants pour agacer Merlin qui fronça les sourcils.« Le destin est inexorable et tout finit dans les larmes.— Nimue est avec vous ? » lui demandai-je, et je vis immédiatement, à l’expression de mise en garde de Taliesin, que j’avais posé la mauvaise question.Le druide contempla fixement le feu.Les flammes envoyèrent une braise dans sa direction et il cracha pour rendre sa malice au feu.« Ne me parle pas de Nimue.» Sa bonne humeur s’était évanouie et je me sentis gêné d’avoir posé cette question.Il toucha son bâton noir, puis soupira.« Elle est en colère contre moi.— Pourquoi, Seigneur ?— Parce qu’elle ne peut pas obtenir ce qu’elle veut.C’est généralement ce qui met les gens en colère.» Une autre bûche crépita dans le feu, vomissant des étincelles qu’il épousseta de sa robe après avoir craché dans les flammes.« Du bois de mélèze.Le mélèze fraîchement coupé déteste qu’on le brûle.» Il me regarda d’un air maussade.« Nimue n’a pas approuvé que je mêle Gauvain à cette bataille.Elle croit que c’était du gaspillage et elle a probablement raison.— Il a apporté la victoire, Seigneur », dis-je.Il ferma les yeux et soupira, montrant ainsi que ma sottise était intolérable.« J’ai consacré ma vie tout entière à une seule chose, dit-il au bout d’un moment.Une chose simple.Je voulais restaurer les Dieux.Est-ce si difficile à comprendre ? Mais faire une chose bien, cela occupe toute une vie, Derfel.Oh, les sots comme toi peuvent se disperser en étant magistrat un jour et lancier le lendemain, et quand tout est fini, qu’avez-vous accompli ? Rien ! Pour changer le monde, Derfel, il faut être tenace.Je dirais, en sa faveur, qu’Arthur y est presque arrivé.Il veut débarrasser la Bretagne des Saxons, et il a probablement réussi pour un temps, mais ils existent toujours et ils reviendront.Peut-être pas de mon vivant, peut-être même pas du tien, mais tes enfants et tes petits-enfants devront mener ce combat, encore et encore
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